“60 mille hectares à Camvert, une compagnie qui n’a pas d’expérience de plantation de palmier à huile? Est ce qu’on est prêt à risquer cela?”, déclare d’un air dubitatif Samuel Nguiffo, Secrétaire exécutif du Centre pour l’Environnement et le Développement(CED), une organisation environnementale basée au Cameroun.
Il y a quelques années, Samuel et d’autres leaders de la société civile ont défendu les droits des communautés face à l’octroi de 73 mille hectares de forêt du Sud-ouest du Cameroun, à SG Sustainable Oils Cameroon PIC (SGSOC), filiale de l’américaine Heraklès Farms. Leur combat avait poussé le gouvernement Camerounais à diminuer la superficie octroyée à SGSOC, passant de 73 mille hectares à 20 mille hectares. Aujourd’hui, une histoire similaire se reproduit dans le Sud du Cameroun avec l’implantation de l’agro-industrie Cameroun Vert Sarl (Camvert), dans l’arrondissement de Campo. Et cette fois-çi, le combat de la société civile semble plus rude.
Au moment où InfoCongo bouclait cette enquête, 1850 hectares de forêts avaient déjà été rasés à Campo pour la création de la plantation industrielle de palmier à huile de Camvert. D’après des données liées à la perte du couvert forestier de Global Forest Watch, analysées par InfoCongo, cette surface de forêt a été détruite de Mai 2020 à décembre 2021, avec la possibilité d’une plus grande déforestation à Campo.
Cet arrondissement du Sud Cameroun se trouve sur la côte atlantique du pays, au nord de l’embouchure du fleuve Ntem qui marque la frontière avec la Guinée Equatoriale. Avec une superficie de 276 mille hectares, Campo est l’une des rares communes du bassin du Congo, où cohabitent en harmonie des peuples de forêts et des peuples de la côte. La nouvelle agro-industrie y vise 60 mille hectares de forêt, environ 20% de la superficie totale de la commune de Campo. C’est énorme selon Sa Majesté Evina Ango, seule femme cheffe traditionnelle dans l’arrondissement de Campo. “Cette entreprise veut nous envahir pour que Campo devienne un vaste champ de palmiers à huile”, craint-elle.
La forêt que convoite Camvert fait partie de l’ancienne Unité Forestière d’Aménagement, UFA 09 025. Exploitée par la Société camerounaise d’industrie et d’exploitation du bois (SCIEB), partenaire du groupe Nerlandais Wijma, cette forêt de production couvrait une superficie totale de 88 mille hectares et faisait partie des concessions forestières certifiées FSC au Cameroun jusqu’en 2017. Ce statut permettait d’y “assurer un minimum de garanties en termes de gestion durable”, d’après des organisations environnementales. De plus, les sept communautés autochtones Bagyeli de Campo et leurs voisins bantou pouvaient y faire de la chasse, de la pêche ou y prélever des écorces médicinales.
Cette forêt partage aussi une limite conjointe d’environ 50 kilomètres avec le parc national de Campo Ma’an. Une aire protégée riche en faune et flore, créée en 2000 par le gouvernement camerounais pour compenser les impacts environnementaux négatifs du projet d’oléoduc Tchad-Cameroun. Le parc national de Campo Ma’an abrite plusieurs espèces en voie de disparition inscrites sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Il s’agit entre autres du pangolin géant (Smutsia gigantea), l’éléphant d’Afrique (Loxodonta cyclotis), le gorille (Gorilla gorilla).
Dans ce riche écosystème forestier, la nouvelle agro-industrie Camvert a bénéficié de plusieurs facilités du gouvernement camerounais pour démarrer sa palmeraie.
Opportunisme
Tout commence en 2017, dans une discrétion totale. Les grands groupes européens, comme Rougier et Wijma, sont en train d’abandonner leurs concessions en Afrique centrale, arguant de difficultés financières et opérationnelles, écrivent Swedwatch et le CED dans un rapport publié en 2019.
Dans la même lancée, l’entreprise SCIEB Sarl (gestionnaire de l’UFA 09 025 et deux autres UFA), transfère ses principales activités forestières à d’autres actionnaires. Dans un article de Africa Business+, on découvrira plus tard qu’en 2018, Aboubakar Al-Fathi a “rachèté la Société camerounaise d’industrie et d’exploitation du bois (Scieb) à la société néerlandaise Wijma et récupéré une Unité d’Aménagement Forestière (FMU) et une scierie à Campo”.
Des documents obtenus par InfoCongo montrent que la même année, plus précisément en Août 2018, Aboubakar Al-Fathi et Mahmoud Mourtada se sont associés pour créer une Société à responsabilité limitée dénommée Cameroon Vert Sarl(Camvert). Selon Greenpeace Afrique et Green Advocate Development, Aboubakar Al-Fathi serait un leader politique proche du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du Peuple Camerounais.
En Avril 2019, soit neuf mois seulement après la naissance de Camvert, le ministre des forêts et de la faune, Jules Doret Ndongo signe un avis public portant déclassement d’une partie de l’UFA 09 025 pour la production agricole. Dans la foulée, la société civile suspecte que cette forêt serait attribuée à Camvert pour son projet de plantation industrielle de palmier à huile. Mais, rien d’officiel ne le prouve.
Le décret à problème
Suite à l’annonce d’un potentiel déclassement de l’UFA 09 025, les défenseurs de l’environnement craignent la réduction du domaine forestier permanent du Cameroun. Dans sa loi forestière datant de 1994, le pays s’est engagé à maintenir le domaine forestier permanent sur 30% de son territoire national pour conserver les ressources forestières et produire de façon durable la matière ligneuse.
Par conséquent, «le déclassement total ou partiel d’une forêt ne peut intervenir qu’après classement d’une forêt de même catégorie et d’une superficie équivalente dans la même zone écologique », indique la loi. Or, le processus de déclassement de l’UFA 09 025 entamé par le ministre des forêts ne donnait “aucune garantie que cette disposition de la loi forestière serait respectée”, a précisé l’ONG Forêts et Développement Rural (FODER).
La société civile environnementale plaide aussi pour la sauvegarde de la riche biodiversité du parc national de Campo Ma’an. Le Cameroun y met en œuvre un projet d’habituation des gorilles dans l’île de Dipikar en partenariat avec la Banque Mondiale et la Coopération Allemande. Transformer une partie de l’UFA 09 025 en plantation industrielle mettrait en péril cette initiative de conservation et la sécurité foncière des communautés de Campo. Ici, les communautés locales sont “déjà privées de leurs terres par les projets tels que le port en eau profonde de Kribi, le projet Pipeline Tchad – Cameroun et les différentes activités agro industrielles autour de la zone”, relève un groupe d’ONG dans une note de position publiée en Août 2019. Malgré ces réserves, le gouvernement passe en force.
En Novembre 2019, le Premier ministre camerounais, Dion Ngute valide le déclassement d’une parcelle couvrant environ 70% de l’UFA 09 025. Les 60 mille hectares de forêt peuvent désormais être utilisés à des fins de production agricole à grande échelle.
Jusqu’à la publication de cette investigation, InfoCongo a constaté qu’aucune forêt équivalant aux 60 mille hectares de l’UFA 09 025, n’a été classée comme le prévoit la loi forestière camerounaise. Les demandes d’interview d’InfoCongo adressées au Ministre des forêts sont restées sans réponse.
InfoCongo a voulu comprendre pourquoi Aboubakar Al-Fathi a récupéré l’UFA 09 025. L’homme d’affaires aurait-il racheté une forêt de production pour la déforester et la transformer en vaste palmeraie?
Complicités administratives
Le lien entre la jeune agro-industrie Camvert et l’UFA 09 025 est officiellement connu le 02 Mars 2020, à travers un appel d’offres de Ventes aux Enchères des bois sur pied, signé par le ministre des forêts et de la faune du Cameroun. Jules Doret Ndongo y précisait clairement qu’il s’agit d’un lot de “2500 hectares de la partie déclassée de l’UFA 09 025 au profit du projet Camvert”. Bien que président en exercice de la Commission des forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC), instance régionale de protection des forêts du bassin du Congo, Jules Doret Ndongo a autorisé que soit rasé 2500 hectares de forêt à Campo.
Les résultats de l’appel d’offres relatif à l’exploitation du bois issus des 2500 hectares n’ont été pas rendus publics. Ce qui a créé davantage d’opacité sur le nom de l’entreprise autorisée à exploiter le bois issu des 2500 hectares de forêt et la durée de validité des activités de coupe du bois.
Pendant ce moment, Camvert déploie sa stratégie de séduction sur le terrain, comme le montrent des copies de cahier de charge signées entre Camvert et les communautés de Campo. Ces documents ont été signés le 27 Mars 2020, alors que tout le monde attend les résultats de l’avis d’appel d’offres.
InfoCongo a obtenu une copie du Certificat d’attribution de cette Vente aux Enchères, signé le 02 Avril 2020 par le ministre des forêts et de la faune Ministre. Le document montre que Jules Doret Ngongo a attribué cette vente aux Enchères à l’entreprise SextransBois.
Le 09 Avril 2020, le Ministre des Domaines, du cadastre et des Affaires foncières entre en scène. Henri Eyebe Ayissi autorise Camvert à exploiter 2500 hectares, “sous réserve d’un engagement de délimiter les 60000 hectares”.
Seulement, ces deux actes du gouvernement sont pris dans un contexte de crise sanitaire mondiale qui paralyse le monde entier.
Au Cameroun, le gouvernement vient de prendre une série de mesures de restriction des déplacements pour limiter la propagation de Coronavirus. Plusieurs organisations de la société civile ont suspendu leurs activités de veille dans les zones forestières. La commune de Campo, comme d’autres zones forestières du pays, est enclavée et peu couverte par le réseau de télécommunication. Il devient difficile pour ces acteurs de la société civile d’effectuer un monitoring efficace. Camvert en a profité pour se déployer rapidement à Campo.
En Février 2022 au moment où InfoCongo publie cette enquête, la jeune agro-industrie vient de bénéficier de nouvelles facilités administratives pour accélérer ses activités. Une convention signée avec l’Agence de promotion des investissements (API) permet à Camvert “de bénéficier des dispositions de la loi de 2013 (révisée en 2017) portant incitations à l’investissement privé au Cameroun”, a indiqué Investir au Cameroun dans un article paru le 08 Février 2022. Grâce à cette convention, Camvert obtiendra ainsi des exonérations fiscalo-douanières allant de 5 à 10 ans, aussi bien pendant la phase de construction que de production de son projet.
Pour Greenpeace Afrique, cette décision est un coup de massue contre l’économie camerounaise. “Comment se fait-il qu’une entreprise qui veut raser 60 000 hectares de forêt et détruire par la même occasion les moyens de subsistance des communautés locales peut bénéficier d’exonérations fiscales ?” s’interroge Ranece Jovial Ndjeudja, responsable de Campagne forêt Bassin du Congo à Greenpeace Afrique. “Cette décision apparaît comme une prime accordée à l’entreprise pour continuer à violer la loi et porter atteinte aux engagements du Cameroun”, ajoute-il.
Opacité
Selon des sources concordantes, depuis Septembre 2019, avant même d’avoir obtenu l’autorisation d’exploiter 2500 hectares, Camvert avait posé ses marques à Campo. L’agro-industrie avait recruté son personnel et entamé une pépinière de palmiers à huile. Avec l’arrivée du décret du ministre du cadastre, il fallait juste convaincre les chefs de la pertinence du projet pour démarrer la plantation. D’une chefferie à l’autre, les représentants de Camvert martèlent le même discours: “le projet Camvert a déjà été validé par la présidence de la république du Cameroun”, comme relatent sous anonymat, des leaders traditionnels approchés par des dirigeants de Camvert en Mars 2020.
Cette nouvelle déstabilise les communautés de Campo. “Lorsque nous avons entendu parler du projet Camvert, c’était comme une bombe atomique”, affirme Denis Gnamaloma, leader communautaire basé à Ebodje. Mais, comment s’opposer à une décision présidentielle? Les communautés se sentent impuissantes.
Camvert fait signer des cahiers de charges aux chefs des principaux groupement des communautés Bantou de Campo. Les chefs de village bien que approchés par l’entreprise, n’ont aucune dudit copie du cahier de charge.
La situation est plus inquiétante chez les peuples autochtones Bagyeli. Le cinquantenaire Henry Nlema, plus connu sous le nom de Cent ans, a été choisi comme représentant des peuples autochtones Bagyeli de Campo à la signature du cahier de charge de Camvert. Pour la circonstance, les documents sont rédigés en français et en Anglais. Or, Henry Nlema ne sait ni lire ni écrire car il a passé toute sa vie à faire la chasse, la cueillette et la pêche. “Vous savez, moi je ne sais pas lire et écrire. Ils marchaient avec des documents comme ça et demandaient: toi ton nom c’est quoi? Signes ici, sans même rien m’expliquer”, raconte Cent ans, d’un air désabusé.
Henry Nlema affirme avoir signé le cahier de charge sans savoir de quoi il s’agissait. Aujourd’hui, il regrette de l’avoir fait. « Ça m’énerve d’avoir signé ça. Je regrette beaucoup!” ajoute-t-il.
En Octobre 2020, BACUDA, une organisation des peuples autochtone Bagyeli, en collaboration avec APED, une OSC camerounaise, et Forest Peoples Programme ont soumis une requête au Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) pour dénoncer “l’emprise du projet de plantation d’huile de palme de la société CamVert SARL sur les terres coutumières de sept communautés Bagyeli”.
En Avril 2019, FPP et Okani avaient soumis une précédente requête au CERD concernant l’affaire Biopalm. Dans sa réponse en Mai 2019, la CERD avait indiqué que “l’État a l’obligation de reconnaître et d’enregistrer les territoires forestiers collectifs des Bagyelis et d’autres groupes autochtones, y compris les Baka, et de mener un processus de consentement libre, préalable et éclairé avant toute utilisation qui les affecte”. En outre, le CERD soulignait la nécessité pour le Cameroun, d’entreprendre des réformes sur ses lois foncières actuelles.
Pour le cas camvert, la réponse du CERD tarde à venir. Des sources bien introduites ont fait savoir à InfoCongo que “toutes les procédures légales entreprises par les Bagyeeli de Campo vis-à-vis du projet Camvert n’ont jusqu’ici obtenu aucune réponse”.
Maintenant que Camvert a l’accord écrit des chefs pour démarrer sa palmeraie, rien ne freine plus l’agro-industrie aux origines complexes.
Trois en un
Vite, la forêt de Campo est rasée au bulldozer par deux sociétés “ayant les mêmes dirigeants que Camvert”, d’après des témoignages concordants de plusieurs chefs.
Il s’agit de SextransBois et BoisCam, deux entreprises forestières aux activités controversées. “Ces gens sont entrés par le biais de la forêt communautaire d’Akak, avec la dénomination de BoisCam. Mais au fond c’était SextransBois. Ils sont venus semer la zizanie au sein de la communauté, saboter pour mieux se servir”, raconte la cheffe traditionnelle d’Akak.
Elle avait défié le sous préfet de Campo, exigeant que soient reversées aux communautés les revenus issus de la gestion de la forêt communautaire d’Akak, à l’époque exploitée par SextransBois. Pour l’autorité traditionnelle, BoisCam, SextransBois et Camvert forment une même entité. “Qui dit SextransBois, dit BoisCam, dit Camvert car les mêmes responsables de BoisCam sont les mêmes responsables de SextransBois et de Camvert”, affirme sans hésiter Sa Majesté Evina Ango.
D’après le journal Découvertes régionales et Africa Business+, le propriétaire de Camvert est aussi le Président Directeur Général de la Société de foresterie du Cameroun (BoisCam). En 2018, les activités de Ventes de Coupe de SextransBois et BoisCam ont été suspendues pour trois mois par le Minfof, pour non-respect de la procédure d’attribution. Du côté de Camvert, les responsables jurent n’avoir aucun lien avec l’exploitation forestière.
Au cours de ses recherches, InfoCongo a constaté que plusieurs responsables actuellement en service à Camvert, ont auparavant travaillé soit pour SCIEB, soit BoisCam ou alors SextransBois. Aucun responsable de Camvert n’a daigné répondre à la demande d’interview d’InfoCongo déposée au siège de Camvert à Yaoundé.
Comment un même groupe d’entreprise pourrait récupérer le bois d’une forêt et y entamer une palmeraie? Même si la loi ne l’interdit pas, Samuel Nguiffo estime que “c’est totalement immoral”. Le doute plane aussi sur la source de financement des activités Camvert, dont le coût global du projet est estimé à 237 milliards de Francs CFA (environ 413 millions de dollars).
“En réalité, ce qui se cache derrière cette opération c’est que le bois exploité va servir à financer l’opération, c’est pas acceptable. L’argent de ce bois devait aller dans les caisses de l’Etat”, poursuit le juriste.
Loin des débats juridiques de la capitale politique du Cameroun, la déforestation avance à grands pas à Campo. Les gardiens de la forêt et les grands mammifères de Campo subissent déjà de plein fouet les impacts de cette destruction de la forêt.
Sans forêt, comment allons-nous vivre?
A Onze kilomètres du campement des peuples autochtones Bagyéli du village Nazareth, des petits palmiers à huile se développent peu à peu sur la parcelle jadis recouverte de forêt dense. Elle est aujourd’hui exploitée par Camvert.
Selon des riverains, c’est ici que se nourrissaient et se reproduisaient les animaux du parc national de Campo Ma’an. A cause de leur proximité avec le parc, ces populations étaient déjà victimes des ravages des éléphants. Aujourd’hui, “ça devient une double souffrance parce que les animaux se retrouvent partout et c’est très dangereux”, précise Sa Majesté Evina Ango.
Depuis le démarrage des activités de Camvert, la forêt a été détruite et les conflits hommes-animaux sont de plus en plus nombreux.“Lorsqu’on dévaste la forêt ainsi, toutes les bêtes sont en débandade. Elles ne se retrouvent plus et elles se dirigent vers les villages”, explique la cheffe.
“ Il y a quelques semaines, un curé résidant à Ebodjé a vu des gorilles manger des bananes dans sa palmeraie. Il était obligé de fuir et rentrer au village, de peur de se faire attaquer par l’animal”, raconte Denis Ngamaloma.
La communauté Bagyeli de Nazareth a perdu le sommeil. “Les arbres qu’ils abattent partout sont en train de faire fuir les animaux. Attendez je vous montre comment les éléphants ont détruit mon champ, nos avocatiers et nos bananiers”, dénonce Henry, désormais obligé de chasser les éléphants de sa concession presque toutes les nuits.
En effet, comme le montre le plan d’Aménagement du parc national de Campo Ma’an, dont InfoCongo a obtenu la copie, Camvert a débuté ses activités sur le corridor de circulation des grands mammifères. Au village Nazareth, l’équipe d’InfoCongo a vu des traces fraîches d’excréments et des pas d’éléphants à quelques pas du campement Bagyeli.
A Mvini, village limitrophe au parc national de Campo Ma’a, les communautés n’envisagent pas une vie sans forêt. “Dieu nous a créé avec la forêt, ça va partir où ?”, s’interroge une maman Bagyeli âgée d’environ 70 ans.
Assise dans la case familiale en cette matinée de Juillet 2021, elle tisse des nasses et rassemble des morceaux de bois, outils indispensables pour ses activités de pêche et la chasse en forêt. “On ne peut pas rester ici sans pièges! La forêt là, c’est pour les gibiers non”, explique t-elle à InfoCongo.
Dans la même pièce, se trouve l’un des patriarches Bagyeli de Mvini, Luc Mbio Bilende. Né dans les années 40 Luc Mbio est le principal guérisseur du Campo, connu au délà des frontières de Campo pour sa maîtrise de l’utilisation des plantes médicinales. “Les écorces qu’on soigne les gens avec là viennent de la forêt”, soutient le vieillard.
Même son de cloche pour les Bagyeli de Nyeté. “Camvert nous donne du fil à retordre parce que si nous donnons l’accès à Camvert, nous allons mal vivre”, affirme Paul Njemba, jeune chef Bagyeli du village Nyamalandé à Nyeté. Selon des matriarches de la communauté, les Bagyeli sont établis ici depuis 1983, chassés de leur ancien campement en pleine forêt par des exploitants forestiers. Ils vivent dans un petit campement entouré de la vaste plantation d’Hévéa de l’entreprise Hévécam, filiale du groupe Halcyon Agri.
Aujourd’hui, Camvert convoite les petites parcelles de forêt qui leur restent, mettant en péril leurs traditions ancestrales. “Lorsque l’enfant atteint un certain âge, nous le conduisons en forêt. Nous nous rendons au pied de l’arbre avec lui et nous lui disons voici l’arbre qui soigne telle maladie”.
A présent, les Bagyeli de Nyeté craignent pour leur survie. “Si nous ouvrons la porte à Camvert, nous ne mangerons plus le rat palmiste. Nous n’aurons même plus de feuilles pour attacher le bâton de manioc. Nous allons vivre comment ?”, dit Antoinette Avomo. “Nous nous n’acceptons pas Camvert sauf s’ils entrent par force”, soutient le chef des Bagyeli de Nyamalandè.
Madeleine NGEUNGA
Cette enquête est le premier volet d’une série Co-publiée par InfoCongo, Oxpeckers and The Museba Project, avec le soutien du Pulitzer Center Rainforest Investigations Network (RIN).
Finalement les ministres jouent le rôle de déstabilisation dans ce pays.