C’était le 16 mars 2021. Le ministre camerounais des forêts a pris une décision constatant la caducité de cinquantaine sept ventes de coupe dans le domaine national, « en raison du dépassement de leur période de validité ».
Une vente de coupe est une parcelle de terrain que l’Etat met à la disposition d’une société privée qui dispose des capacités financières, administratives et techniques pour l’exploitation pendant une durée de trois ans qui peut être renouvelée, a indiqué Ebenezer Ekwalla Dit Toube, ancien brigadier en chef de l’unité centrale au ministère des forêts.
« Cette parcelle ne dépasse pas 2500 hectares », a précisé le fonctionnaire à la retraite.
Comme ces ventes de coupe étaient arrivées à expiration depuis plusieurs mois et que les trente huit sociétés forestières concernées n’ont pas sollicité une extension de leurs activités, elles ont été déclarées caduques par l’administration forestière.
«La caducité ainsi prononcée emporte la perte du titre d’exploitation forestière, l’arrêt définitif et immédiat des activités relatives, le règlement de tous les droits, taxes et redevances dus », a écrit Jules Doret Ndongo, le ministre des forêts. « Ces droits, taxes et redevances, peuvent, le cas échéant, faire l’objet d’un recouvrement forcé».
Ndongo est allé loin en donnant d’autres détails importants: le numéro de la vente de coupe, le nom de l’exploitant, la date d’attribution et d’expiration de la vente de coupe, et le motif du retrait.
Mais, la décision du ministre des forêts est contredite par certaines sociétés forestières citées qui ne se souviennent pas avoir obtenu les ventes de coupe qui leur sont attribuées. D’autres disent avoir trouvé que les sites qui leur ont été octroyés par l’administration forestière étaient déjà occupés par des exploitations frauduleuses, ou comme dans un cas, par une vaste plantation gardée par les militaires qui appartiendrait à une haute personnalité du pays.
Tromperie
Méssok est une commune du département du haut Nyong, à l’Est Cameroun, où vivent environ 12 mille âmes. Mékoua, un des villages de l’arrondissement, est situé au bord d’une piste poussiéreuse qui mène à la capitale de la région. Sa population vit dans des cases recouvertes de paille, de feuilles mortes et se nourrit des produits de la chasse. Pourtant, ce village dispose des richesses naturelles qui pouvaient accélérer son développement, à commencer par la foret communautaire qu’il partage avec deux villages voisins.
« Nous sommes un grand fournisseur de bois mais nous ne bénéficions de rien depuis la création de la forêt communautaire », a déclaré jean Paul Diouala Mkpala, chef du village Mekoua. « Les audiences ne sont pas réalisées, il y a toujours une tromperie ».
Quand il parle de tromperie, Diouala Mkpala fait allusion aux petits exploitants qui entrent discrètement dans la forêt de son village, coupent le bois avec des tronçonneuses puis repartent sans donner quelque chose à la population.
En 2017, une opportunité à frapper à la porte de ce village. Cette année-là, l’administration forestière a attribué la vente de coupe No 1002404 d’une durée de trois ans à la société forestière « La Rosière ». Cette vente de coupe devait s’effectuer dans les villages Mekoua, Mebem et Messea, et apporter du sourire aux riverains. Mais en 2021, cette vente de coupe a été déclarée obsolète à cause du dépassement de la période de validité; au grand étonnement des résidents locaux qui n’étaient pas, disent-ils, au courant d’une telle vente de coupe encore moins de la société adjudicataire.
« On ne connait pas La Rosière et je n’ai aucune idée de cette société », a déclaré Séraphin Nanga, le président de la forêt communautaire Beuk, Mekoua et Messea. »On n’a pas d’entreprise sur le terrain qui exploite; avant on exploitait avec des tronçonneuses, c’est maintenant que nous cherchons des entreprises pour couper le bois en grume. »
Le représentant de la population, Diouala Mkpala, est lui aussi catégorique: « nous n’avons pas encore vu « La Rosière » sur place face à la population ».
Alors que les communautés locales se demandent pourquoi la société forestière n’a pas pu exploiter la vente de coupe qui lui aurait été attribuée, The Museba Project a contacté La Rosière pour avoir sa version des faits. Là aussi, c’est la surprise.
« Je ne connais par ça (cette vente de coupe) », a déclaré au téléphone un responsable de la société La Rosière, avant de hausser le ton. »Tu me demandes ça en tant que qui?(…) tu m’appelles pourquoi?… »
Cette société forestière n’est pas la seule à ne pas se reconnaitre dans la décision ministérielle. Basée à Douala, la société forestière équatoriale(Sfe)aurait obtenu la vente de coupe No 110223 correspondant à la localité de Nguti dans la région du sud Ouest. L’exploitation devait avoir lieu entre septembre 2017 et septembre 2020, selon le ministère des forêts.
Approché dans les locaux de l’entreprise, Evariste Nanga, un responsable de la Sfe, a souhaité faire des vérifications internes avant de donner la position de la Sfe. Un jour plus tard, il a déclaré:
« Je n’ai pas retrouvé de traces qu’on a eu une vente de coupe dans cette zone à cette date là ».
Avec environ 22 millions d’hectares de forêts, le Cameroun, pays d’Afrique centrale, est le second massif forestier du bassin du Congo derrière la République Démocratique du Congo. Le bois figure parmi les trois premiers produits d’exportation du pays. Pour autant, le secteur forestier contribue encore faiblement au budget de l’Etat. Il tourne autour de 3%, d’après les chiffres officiels.
Des militaires à la plantation
L’attribution de ventes de coupe aux sociétés forestières contribue à augmenter les recettes financières, préserver l’environnement et améliorer les conditions de vie des communautés locales. Pour ce faire, elle devrait se faire selon une procédure bien définie, a fait savoir Ebenezer Ekwalla. D’après le fonctionnaire à la retraite, l’administration effectue un travail sur le terrain et sur la carte forestière pour déterminer les sites qui abriteront des ventes de coupe. Après cela, elle fait une publication sur les ventes de coupe disponibles puis les sociétés intéressées se manifestent, dit-il.
« L’administration des forêts est structurée pour assurer le contrôle de ces parcelles de terrain », a déclaré cet ancien contrôleur régional des forêts, avant de poursuivre: « le chef de poste forestier est au bas de cette architecture de contrôle, il doit suivre l’évolution d’une exploitation qui se déroule dans sa circonscription ».
Cela n’a pas toujours été le cas sur le terrain. L’administration a accordé la vente de coupe No 702101, située à Nkondjock dans le département du Nkam, à la Compagnie Forestière Assam(Cofa) pour une exploitation qui devait prendre fin en 2020. Quand Cofa a voulu lancer l’exploitation, le site était déjà occupé.
« On n’a pas exploité cette vente de coupe parce qu’il y a eu des exploitations frauduleuses dedans », a déclaré au téléphone un responsable de la Cofa, une société liée à Bonaventure Mvondo, député et neveu du président Biya.
« On s’est plaint qu’il y avait une exploitation, il fallait pas mettre ça en vente ».
Au cours de la même période, une autre entreprise a été contrainte d’abandonner ses sites d’exploitation. Il s’agit de VERA Forestière, une société qui a acquis deux ventes de coupe, No 110221 et No 801238, à Nguti et Nkoteng, respectivement dans la région du sud ouest et la région du centre. Au moment de lancer les activités sur les sites, la société forestière a rencontré des obstacles.
« Nous avons obtenu ces ventes de coupe mais nous n’avons pas pu les exploiter », a regretté au téléphone Nangue Jean Pierre, responsable d’exploitation à VERA Forestière. « A Nguti, il y avait la guerre, on a arrêté l’exploitation. A Nkoteng, la vente de coupe qu’on nous a attribuée se trouvait sur les terres de [Ferdinand] Ngoh Ngoh (Secrétaire général de la Présidence de la République, ndlr), il y avait ses champs dessus sur à peu près 1000 hectares ».
L’administration forestière était censée s’assurer que ce site était inoccupé avant d’en faire une vente de coupe. Face à la réalité, elle était sans voix. « On(l’administration, ndlr) nous a dit de nous débrouiller, on était surpris », a dit Nangue.
« C’était impossible d’exploiter, le site était protégé par plusieurs militaires », a dit Nangue. VERA Forestière qui exportait abondamment le bois vers la Chine est en arrêt d’activités depuis environ deux ans. D’après son responsable d’exploitation, cette société est à la recherche de partenaires pour relancer ses activités.
Ventes de coupe imaginaires
Plusieurs autres sociétés qui auraient obtenu des ventes de coupe déclarées désuètes ont dit leur déception parfois à visage couvert. « Nous n’avons jamais eu une vente de coupe dans cette localité, c’est plutôt à Bertoua que nous avons par le passé acheté du bois mis aux enchères », a déclaré sous anonymat le propriétaire d’une société qui s’est vu attribuer une vente de coupe à Bélabo, dans la région de l’Est. » Ce sont des ventes de coupe imaginaires ».
The Museba Project a écrit au ministre des forêts et de la faune pour solliciter son commentaire sur les allégations autour des ventes de coupes déclarées caduques. Jules Doret Ndongo n’a pas réagi à la demande d’informations.
« Le ministre a été trompé par ses collaborateurs », a déclaré Ebenezer Ekwalla. « Comment peut-on mettre une vente de coupe sur un espace qui abrite une grande plantation depuis plusieurs années? Les collaborateurs doivent donner une information juste et vérifiée au ministre pour lui permettre de prendre la bonne décision, cela n’a visiblement pas été le cas dans cette affaire ».
Henri Mevah est le coordonateur du Projet d’Appui à l’élevage et de Préservation de la biodiversité en périphérie des aires protégées au Cameroun (PAPEL), une association qui dénonce souvent les mauvaises pratiques des sociétés forestières. Il a indiqué que certaines sociétés ont, depuis quelques années, l’habitude d’acquérir des ventes de coupe auprès de l’administration juste pour les vendre plus tard au plus offrant.
« Certains adjudicataires camerounais vendent leur ventes de coupe à des libanais ou à des chinois qui disposent d’importantes ressources financières et qui sont à la recherche de ressources ligneuses, je ne connais pas les montants des transactions mais c’est un phénomène récurrent » , a déclaré Henri Mevah.
Chaque année, l’Etat perd environ 33 milliards de F CFA du fait de la corruption et de la mauvaise gouvernance dans le secteur forestier, rapportent des ONG. Et l’opacité qui entoure l’octroi, le contrôle et la gestion des ventes de coupe pourrait aggraver la situation. Si Rien n’est fait.
Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center.